Pêr-Jakez HELIAS

Pêr-Jakez HELIAS



Pêr-Jakez Heliaz est né le 17 février 1914, à Pouldreuzic (Finistère), dans une famille de paysans pauvres du Pays Bigouden, situé à la pointe sud-ouest de la Bretagne. Le pays Bigouden, qui compte environ 55.000 habitants, n’a pas de réalité administrative. C’est un bro, un pays, un terroir, un groupe social, qui se distingue de ses voisins par ses traditions. Après leur mariage, son père, Pierre Alain Hélias, de Plozévet, et sa mère, Marie Jeanne Le Goff, de Landudec, s’installent à Pouldreuzic, dans la maison du grand-père maternel, Alain Le Goff (mort en 1934), cantonnier, qui joue un rôle important dans l’éducation de son petit-fils.La seule langue utilisée hors de l’école est alors le breton.

Pêr-Jakez Heliaz a d’excellents résultats scolaires. Après le baccalauréat, il poursuit ses études supérieures à la faculté des lettres de l’université de Rennes, tout en étant surveillant d’internat, en 1934 et 1935. Durant cette période, il rencontre Max Jacob à Quimper et Louis Guilloux à Saint-Brieuc. Il retrouve Rennes en 1936, obtient sa licence et entre dans l’enseignement à la rentrée 1938. Durant la Seconde Guerre mondiale, il est professeur à Rennes, puis à Fougères, où il participe à la Résistance. À la libération, après avoir été rédacteur en chef de l’hebdomadaire Vent d’Ouest, Hélias est chargé d’assurer à la radio les émissions en breton à l’intention des auditeurs de basse Bretagne. Il écrit des centaines de dialogues illustrant les traits les plus originaux de la vie quotidienne des bretons. De petites compagnies d’amateurs représentent dans les campagnes et même dans les villes de la zone bretonne ses sketches radiophoniques les plus célèbres.

Président de la Commission Nationale de Folklore à la Ligue de l’Enseignement, Hélias dirige pendant plus de vingt ans des stages régionaux et nationaux de civilisation populaire à travers la France. Il fait paraître de nombreux livres de contes, et deux essais, Le Pays Bigouden et Vivre en Cornouaille. En poésie, citons notamment deux livres : Manoir secret (1965, Prix Bretagne) et La Pierre noire (1974) : « Si on me demandait ce qu’est la poésie, je dirais que c’est une mauvaise herbe… Cette mauvaise herbe est parfois vénéneuse, mortelle, et elle peut être aussi médicamenteuse, pharmaceutique, salvatrice, purgative en tout cas. Mais elle perd une bonne part de ses vertus dès qu’on la cultive… Il n’y a pas de poésie vraie, dès qu’elle a revêtu sa forme et il faut bien qu’elle la revête si elle veut se montrer. » Dans La Pierre noire, Hélias dénoncent ceux qui bradent son pays et lui volent son âme : Mon pays est à vendre en gros et en détail / À la lourde bêtise, à la laideur ouverte / Au dieu argent qui est leur maître / Mon pays, on en fait commerce à toutes mains / Avec l’assentiment des tribus et des clans.

Pêr-Jakez Heliaz meurt le 13 août 1995 à Quimper. Ses cendres sont dispersées en baie d’Audierne. Vingt ans auparavant, Hélias a fait paraître son célèbre Cheval, l’année de sa retraite en tant que professeur agrégé de grec et de latin à l’Ecole normale de Quimper.

Il y a dans la littérature de la France rurale un avant et un après Hélias. Le Cheval d’orgueil est écrit à la demande de Jean Malaurie et publié en 1975 dans la collection Terre humaine, créée en février 1954, aux éditions Plon. La Normandie, elle, aura son équivalent avec, toujours publié dans la même collection, Le Horsain (1988) de Bernard Alexandre. Le récit de son enfance, vendu à plus de 500.000 exemplaires et traduit en dix-huit langues (près de 2 millions d’exemplaires circulent à ce jour dans le monde) vaut à Hélias une célébrité nationale. « Trop pauvre que je suis pour posséder un autre animal, du moins le Cheval d’Orgueil aura-t-il toujours une stalle dans mon écurie. » Ainsi parle à l’auteur son petit-fils, l’humble paysan Alain Le Goff, qui n’a d’autre terre que celle qu’il emporte malgré lui aux semelles de ses sabots de bois. « Quand on est pauvre, mon fils, il faut avoir de l’honneur. Les riches n’en ont pas besoin.  Et l’honneur consiste à tenir et à faire respecter son rang, si humble soit-il. Au pays Bigouden, on ne redoute rien tant que la honte qu'on appelle « ar vez ». Tout le reste est supportable. »

Pêr-Jakez Heliaz a grandi dans ce sentiment et raconte minutieusement comment on vit dans une « paroisse bretonnante » de l’extrême ouest armoricain dans la première moitié de ce siècle. Il nous fait partager sa profonde conviction : ceux qui jugent les paysans comme des êtres grossiers sont eux-mêmes des esprits sommaires et naïfs. Il affirme que « ce sont des siècles de mépris culturel qui ont fini par déclencher jacqueries et révoltes chez les paysans de notre pays. Et puis, un jour, Le Cheval d’Orgueil a secoué furieusement sa crinière ! » Le Cheval d’orgueil est adapté au cinéma par Claude Chabrol en 1980.

Écrivain prolifique, Hélias est avant tout un homme du pays bigouden. S’étant éloigné des tendances nationalistes bretonnes après la guerre, il est critiqué par les militants qui tentent d’unifier l’expression politique bretonne en rejetant toute idée de travail avec les institutions françaises. La polémique la plus fameuse, naît entre le grand aîné Hélias et son benjamin en révolte Xavier Grall, l’un des chefs de file de la nouvelle poésie en Bretagne, lorsque ce dernier fait paraître Le Cheval couché (Hachette, 1977), en réponse au Cheval d’orgueil, paru en 1975.

Xavier Grall critique la « vision passéiste et le folklorisme fossilisant de ce cheval, empaillé, couché, canasson fatigué, qui ne parle pas de la Bretagne mais de la bigoudénie. ». Grall ajoute : « Hélias est un être tombal, Hélias est plus proche du matou que de l'alezan, on peut être un bretonnant passionné et certes il l’est, et un médiocre breton. Un homme qui pleure sur un tombeau qu’il a contribué à édifier, il faut l’inclure dans cette cohorte assez minable de cette élite qui a trahi son peuple en étant fidèle à son clan. ». Sur le plateau de Bernard Pivot dans Apostrophes, les deux auteurs ont un vif échange au sujet de leur vision respective de la Bretagne. Pour sa part, Hélias dénonce, à travers certains jeunes nationalistes bretons, Grall inclus, des « intellectuels plus ou moins bretonnants, mais avant tout bourgeois. » Sur le plateau de Bernard Pivot, Hélias répond à Grall : « Moi ce que j’ai voulu faire, c’est défendre un peuple breton dont personne ne s’est jamais occupé, parce qu’au dix-neuvième siècle, c’était quand même des réactionnaires, des légitimistes et des nobles, qui s’en occupaient, mais alors vraiment de haut, n’est-ce pas ! Moi j’ai défendu le peuple, et au fond, c’est ça que vous me reprochez ? Vous m’avez reproché d’avoir fait un livre populaire, d’avoir fait un livre à l’honneur des hommes obscurs dont personne ne s’occupe. Vous vous êtes là-haut, vous êtes en train de vaticiner et les chevaux couchés ne vont pas vers la mer... Mais la Bretagne n’est pas seulement les paysans ! Ah ! Mais bien sûr. »

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

À lire, poésie (éditions bilingues) : Maner kuz/Manoir secret (André Silvaire, 1964, Prix Bretagne 1964), Ar mên du/La pierre noire (Emgleo Breiz, 1974), An tremen-buhez/Le passe-vie (Emgleo Breiz, 1979), Amsked Pobl an noz/Clair-obscur, Le peuple de la nuit (Emgleo Breiz, 1990), D’un autre monde/A-berz eur bed all, œuvre poétique (Éditions Ouest-France, 1991). Essais : Le Cheval d’orgueil, Mémoires d’un Breton du pays bigouden (Plon, coll. Terre humaine, 1975), Les autres et les miens (Plon, 1977), Lettres de Bretagne, Langues, culture et civilisations bretonnes (Galilée, 1978), Au pays du Cheval d’orgueil (Plon, 1980), Le Quêteur de mémoire, Quarante ans de recherche sur les mythes et la civilisation bretonne (Plon, coll. Terre humaine, 1990), Un pays à deux langues (Brud Nevez, 2000).

Fictions (sélection) : Contes du sabot à feu (Éditions Jos Le Doaré, 1961), Comme on connaît ses saints (Ar Pilhaouer, 1962), Contes du pays bigouden (Éditions Jos Le Doaré, 1967), Contes bretons de la Chantepleure (Éditions Jos Le Doaré, 1971), Comment un Breton devint roi d’Angleterre (Éditions G.P., 1976), Ventre-à-Terre, l’aventurier (éditions Coop Breizh, 1996).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes bretons pour une baie tellurique n° 57